Message Pascal aux membres du Régime Écossais Rectifié

Charles Le Brun, La Résurrection du Christ (1674), tableau réalisé  à la demande de la corporation des Merciers, pour le maître-autel de l’église du Saint-Sépulcre à Paris.

Lettre à l’occasion des Fêtes de Pâques

Bien Aimés Frères,

Comme il est de tradition, la période des Fêtes Pascales est l’occasion de la célébration de l’événement majeur de la vie chrétienne, à savoir la mort et la Résurrection de Jésus-Christ, qui accepta le sacrifice de sa vie pour le salut des hommes qui, depuis Adam, étaient placés sous la puissance du « péché », incapables de se libérer des conséquences de la faute originelle, saint Paul nous rappelant :

« Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché ; et qu’ainsi la mort est passée dans tous les hommes, tous ayant péché dans un seul  […] Comme donc c’est par le péché d’un seul, que tous les hommes sont tombés dans la condamnation ; ainsi c’est par la justice d’un seul, que tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie. Car comme plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul, ainsi plusieurs seront rendus justes par l’obéissance d’un seul. » (Romains V, 12-19).

Le péché originel, que d’aucuns regardent aujourd’hui comme une fable religieuse dépassée, est donc bien – selon l’enseignement de l’Évangile qui est « la base » fondamentale sur laquelle reposent « nos obligations » d’après la Règle Maçonnique [1] -, le voile ontologique dont parle le prophète Isaïe : « le voile qui voile tous les peuples » (Isaïe XXV, 7), « l’iniquité » qui marque du sceau de l’infamie coupable tous les enfants d’Adam selon la chair, transmise par la génération selon le roi David : « Vous savez que j’ai été formé dans l’iniquité, et que ma mère m’a conçu dans le péché » (Psaume L, 7).

C’est pourquoi, même si nous traversons des temps difficiles, l’acte accompli par le Sauveur est de nature à nous emplir d’une bienheureuse reconnaissance, et l’occasion du partage d’une joie légitime puisque par sa Résurrection, le Fils de Dieu nous apprend que la vie éternelle, au sein du « Principe », est plus forte que la mort et supérieure aux déterminations de la matière. Il serait d’ailleurs inutile de cheminer sur une « voie » de perfectionnement par l’intermédiaire des vertus, si nous ne parvenions-pas, notamment dans les circonstances actuelles et malgré leur niveau de difficulté, à « actualiser » la capacité transformatrice effective qui nous a été conférée par l’initiation lors de notre entrée dans l’Ordre, de sorte que nos existences soient en mesure de s’ouvrir de façon concrète, dans le silence et la prière, à l’unique dimension essentielle à laquelle nous nous devons de consacrer tous nos efforts, dimension qui est celle de la réalité céleste.

Dans ses écrits spirituels, Madame Guyon (1648-1717), qui sut si bien parler de la relation intérieure de l’âme à Dieu – auprès de laquelle le Chevalier de Ramsay (1686-1743), vint se placer et chercher conseil dans le refuge de sa maison de Blois, et à qui l’on doit le discours qui dévoila, pour la première fois dans les loges, l’essence antique de l’authentique franc-maçonnerie, héritière des Ordres de la chevalerie médiévale [2]-, commentant les paroles du Nouveau Testament, délivre ces lignes précieuses que nous pouvons avec profit méditer, nous montrant que la recherche du « Royaume de Dieu » doit être le motif principal de notre vie de prière, insistant sur le fait qu’il nous faut « frapper à la porte », avec patience et persévérance, ce qui signifie rien d’autre que « d’entrer en soi-même » :

« Si nous ne trouvons pas le Royaume de Dieu, c’est que nous ne le cherchons pas comme il faut […] L’on ouvrira à celui qui frappe à la porte. Frapper à la porte n’est autre chose que rentrer en soi-même, et là, frapper à la porte du cœur de Dieu par de saintes affections jusqu’à ce qu’elle nous soit ouverte, ce qui arrive bientôt pourvu que l’on frappe avec patience et persévérance, car c’est ainsi que les aspirations ouvrent la porte à la contemplation […] [3]. »

Appliquons avec attention vigilante ces magnifiques indications, installons-nous dans une confiante « patience », et nous traverserons alors sans encombre les aléas des temps présents, voyant enfin se lever, dans notre âme, l’aurore d’un jour nouveau.

En effet, ne nous leurrons-pas, depuis le commencement des temps la détermination ontologique fait que chaque époque reproduit, hélas, les fruits de la Chute originelle, faisant qu’il n’y a eu aucune période par le passé qui échappa aux conséquences ténébreuses de la prévarication adamique, que notre présent ne fait pas exception à cette loi, et qu’aucune dans le futur ne pourra y échapper. Comme y insista fort justement Joseph de Maistre (1753-1821), depuis toujours tout est renversé, l’ordre du monde est un désordre absolu, une radicale caricature de « l’Ordre véritable », puisque dès les premier moments de l’incorporisation matérielle, tout a été soumis au règne de l’inversion et de l’erreur :

« Il n’y a que violence dans l’univers ; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne qui a dit que « tout est bien », tandis que le mal a tout souillé, et que, dans un sens très-vrai, tout est mal, puisque rien n’est à sa place. La note tonique du système de notre création ayant baissé, toutes les autres ont baissé proportionnellement, suivant les règles de l’harmonie. « Tous les êtres gémissent  » (Rom. VIII, 22) et tendent, avec effort et douleur, vers un autre ordre des choses [4].»

Le mystère originel de l’expiation, dont l’énigme est célébrée à chaque instant du devenir humain, qu’il soit collectif ou individuel, démontre de ce fait qu’il n’est pas possible de dissocier les événements temporels de l’action providentielle, et qu’à ce titre, l’idée démentielle, et tristement démentie, d’une indépendance vis-à-vis de l’origine, ou d’une liberté obtenue par la négation de la transcendance et les profanations sacrilèges, sont des folies tragiques annonciatrices des fruits amers cruellement consommés à toutes les époques de la désorientation. Les lois surnaturelles, sur lesquelles insiste la doctrine de l’Ordre, nous dictent qu’une seule et unique règle spirituelle : entrer, avec une confiance indéfectible, dans l’œuvre d’affranchissement des traces de la rupture adamique, et ce par une processus lent et assidu de « réintégration », nous permettant de nous « réconcilier » avec la Providence, puisque le sens de l’Histoire, de manière mystérieuse, n’est que l’histoire du retour progressif de ce qui fut séparé au sein de la Divinité.

L’incipit des Considérations sur la France : « Nous sommes tous attachés au trône de l’Être suprême par une chaîne souple, qui nous retient sans nous asservir [5] », fut placé symboliquement en en-tête de son ouvrage par Maistre pour signifier que toute action, toute entreprise humaine, qu’on le veuille ou non, est unie à Dieu par un lien subtil, voire transparent, et que l’existence, par delà la superficialité des vues limitées incapables de déceler les secrets rouages qui ordonnent le sens des multiples épisodes qui la jalonnent, est un travail où les épreuves, les sacrifices et les souffrances, participent de l’œuvre générale et nécessaire de rénovation et de « Rédemption ».

De ce fait, ne faisons pas l’erreur, commune à tant d’esprits chimériques, de placer notre confiance dans les artifices humains, de mettre notre espérance dans les illusoires thérapies qui ne soignent que les maux corporels, d’imaginer des lendemains heureux par l’effet des stériles industries d’une humanité incapable de répondre, à chaque période de l’Histoire, aux conditions dans lesquelles elle est enfermée depuis la nuit des siècles ; nous n’avons qu’une unique espérance et un seul « Principe » en quoi consiste la recherche de l’union avec l’Éternel ainsi que le proclama Joseph de Maistre : « Notre principe à nous c’est l’Unité [6]. »

Jésus-Christ, selon Jean-Baptiste Willermoz, nous a montré comment l’homme avait à se sauver en plaçant ses pas dans ceux du Divin Réparateur, en se mettant à son école pour recouvrer notre pureté perdue, invitation proposée par l’Ordre à ses membres, de se fondre intérieurement dans  « l’imitation » de ce que nous enseigna par son exemple le Christ :

« Jésus homme-Dieu voulant se rendre en tout semblable à l’homme actuel, pour pouvoir lui offrir en lui un modèle qu’il pût imiter en tout, s’est soumis à se revêtir en naissant d’une forme matérielle parfaitement semblable à celle de l’homme puni et dégradé […] Jésus-Christ dépose dans le tombeau les éléments de la matière, et ressuscite dans une forme glorieuse qui n’a plus que l’apparence de la matière, qui n’en conserve pas même les principes élémentaires, et qui n’est plus qu’une enveloppe immatérielle de l’être essentiel qui veut manifester son action spirituelle et la rendre visible aux hommes revêtus de matière [7]

Dans cette perspective spirituelle, que les bienfaisantes bénédictions du Ciel vous remplissent de la « Lumière » réparatrice, et qu’elles guérissent toutes les âmes de ce monde en attente des consolations divines.

Directoire National Rectifié de France-Grand Directoire des Gaules

Notes.

[1] « Rends donc grâce à ton Rédempteur ; prosterne-toi devant le Verbe incarné, et bénis la Providence qui te fit naître parmi les chrétiens. Professe en tous lieux la divine Religion de Christ, et ne rougis jamais de lui appartenir. L’Evangile est la base de nos obligations ; si tu n’y croyais pas, tu cesserais d’être Maçon. »  (Cf. Règle Maçonnique, 1782, art. I, § II « Devoirs envers Dieu & la Religion »).

[2] On retiendra que la première loge en activité à Lyon, fut un atelier jacobite, dit « le Petit Élu », constitué dès 1743 par des disciples du Chevalier de Ramsay.

[3] M. Guyon, Explications et réflexions qui regardent la vie intérieure portant sur les deux Testaments, (1684).

[4] J. de Maistre, Considérations sur la France, chap. III, in Ecrits sur la Révolution, PUF, 1989, pp. 121-122.

[5] L’heureuse formule de Maistre est une réponse directe à l’incipit, immensément célèbre, du premier chapitre du Contrat social de Rousseau : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »

[6] Joseph de Maistre, Lettre à Louis de Bonald, décembre 1814.

[7] J.-B. Willermoz, Traité des deux natures, MS 5940 n°5, Bibliothèque de Lyon.